"Mourir ? la belle affaire!...

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"Mourir ? La belle affaire ! ... Mais vieillir, ô vieillir ...." Jacques Brel

Depuis un mois que j'ai repris l'accompagnement auprès de ma Dame de Provence, je la vois se dégrader inexorablement un week-end après l'autre... Mais cette fin de semaine a été le top des cascades ratées...

Parce que cette belle orgueilleuse a toujours mené sa barque sans s'écouter, elle refuse l'aide qui pourrait lui simplifier la vie , si ce n'est la prolonger. Alors j'ai assisté, pendant trois jours, à une série de dégringolades et de chutes en tous genres, de jour comme de nuit, car elle ne s'autorise pas à me déranger la nuit. Comme je me lève quand même pour veiller sur elle, je la retrouve systématiquement par terre.

Le miracle c'est qu'elle ne se soit pas encore brisée en mille morceaux ou carrément tuée.

Et je tombe avec elle. Je reçois tous les coups qu'elle se donne. De la même façon que je peux me retourner en Dieu et vivre l'exquise douceur de Son Amour, je la vis en mon espace, et me sens meurtrie de la violence qu'elle s'impose.

Je rentre chez moi aussi brisée que si je m'étais effectivement fracassée à tous les murs et toutes les portes de SA prison. Parce que cette personne si cultivée, si raffinée, qui a affronté tant d'épreuves dans la vie, est en train de se cogner encore et encore, comme un animal obstiné, contre le mur de la non-acceptation de vieillir avec toute la dépendance et l'humilité que cela entraîne. Parce que cette Superbe qui a été si arrogante et exigeante durant son incarnation en en train de mener une bataille perdue d'avance, non pas contre la mort, mais contre l'usure du corps, sa souffrance et sa déchéance.

Elle ne peut pas lâcher : elle est ce corps, elle y est totalement identifiée. Elle en épouse chaque cellules, elle y est incrustée, elle fait corps avec son corps. Elle ne peut pas se penser autrement. Elle n'est plus qu'un corps mental à la volonté inflexible, incapable d'aucune soumission, s'arc-boutant contre l'inévitable. Alors au lieu de finir doucement en se tournant vers l'essentiel, elle se crée un enfer de violence.

Même quand elle tombe, il arrive qu'elle refuse que je l'aide à se relever et j'assiste impuissante à son calvaire qui dure parfois 10 minutes avant qu'elle ne parvienne à se remettre debout. Elle ne pleure pas, mon cœur si, et je la supplie d'avoir un peu de compassion pour elle-même...

Comment peut-on s'infliger une telle torture, alors qu'elle a tout à disposition pour lui facilité la vie ? Elle ne me rejette pas moi, elle me fait même la grâce d'apprécier ma présence. Non, elle se fustige elle, son exigence se retourne contre elle-même, elle ne pliera pas, elle n'abdiquera pas. Mourir oui; mais pas cette déchéance, pas cette pente qui la conduit un peu plus chaque jour à moins de mobilité, à moins d'équilibre, à moins de force, à moins d'autonomie. Elle se répugne elle-même parce que elle ne sait pas qu'elle n'est pas ce corps, elle ne sait pas que ce qu'elle est ne peut en rien être affecté par sa dégradation physique.

Elle ne sait pas.

Mais elle voudrait savoir. Au cœur de la nuit, alors que je la remettais dans son lit, après l'avoir retrouvé une énième fois recroquevillée sur son tapis, elle me demanda :"croyez-vous que je vais aller en enfer ?"

Tout ce que je voyais c'est qu'elle y était en enfer, maintenant, l'enfer de son orgueil, l'enfer de son mental, l'enfer de son refus de croire en quoi que ce soit.... l'enfer de s'être si étroitement identifiée à son corps. Mais l'heure n'était pas au développement métaphysique.

Je lui murmurais doucement que non, elle n'irait pas en enfer. Elle s'endormit alors avec ce joli sourire d'ange qu'elle s'autorise parfois, quand elle ne se contrôle plus à jouer à la Duchesse.

Il est tard, mais pas trop tard... voir que ce corps n'est pas nous, voir que nous sommes l'essence de l'amour se mouvant à travers l'apparente histoire d'un corps. Dans ce monde de dualité, voir que le corps peut être un outil d'expression de l'Être, mais qu'il n'en soit jamais un obstacle. En prendre soin sans en être asservi. Une cruche reste une cruche, même si elle déborde de l'eau du Gange. Mais la respecter et l'honorer justement parce qu'elle porte l'eau du Gange.

Et pendant qu'il en est encore temps, prendre un peu de distance avec cette enveloppe du parfum de l'Eternel, juste ça, un peu de recul et se voir comme le Souffle puissant inspirant l'Amour à travers les formes que prend La Vie.

Je vous embrasse comme je vous aime,

Domiji

"Mourir ? la belle affaire!...
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R
Je viens de lire à Mimiji ton superbe texte, nous sommes tous les deux très touchés par tes paroles.<br /> Gros bisous.<br /> Rv et Mimiji.
D
Touchée que vous le soyez, je vous embrasse doucement, Dom